Le suicide par arme à feu n’est pas une méthode assurée
Le suicide par arme à feu — fusil, pistolet, revolver, carabine — figure parmi les méthodes les plus mortelles de passage à l’acte suicidaire. Elle comporte cependant un taux de létalité de 82,5%[1].
Ce qui signifie que près de 20% des tentatives de suicide par fusil et autres armes à feu n’entraînent pas la mort mais seulement des blessures.
Cette méthode est davantage utilisée par les homme, comme on le voit aisément dans ce tableau comparatif:

Cet écart reflète une distinction que l’on note entre les suicides chez les hommes et chez les femmes. Statistiquement, les femmes font plus de tentatives, tandis que les hommes meurent davantage de suicide, notamment parce qu’ils choisissent des méthodes plus violentes.
Peu de méthodes sont davantage violentes que celle-ci. Cette violence tue beaucoup, mais pas toujours. Elle blesse, ampute et handicape énormément: on comprendra que les près de 20% de rescapés de tentatives de suicide par arme à feu s’en sortent rarement avec de petites blessures.
Aucune méthode de suicide n’est assurée. C’est pourquoi il vaut mieux se protéger contre les risques de la crise suicidaire, ou demander de l’aide.
Complications possibles de tentatives de suicide par arme à feu
Nous n’avons pas besoin de citer de nombreuses études pour faire comprendre la gravité des séquelles de tentatives de suicides par fusils, carabines et pistolets. Comparé aux tentatives de suicides par médicaments, les chances d’avoir des complications bénignes sont assez faibles. Selon la façon dont le suicidaire fera son passage à l’acte, pratiquement tous les organes vitaux peuvent être atteints de façon plus ou moins permanente.
Les douleurs s’avèreront plut ou mois atroces, selon le cas.
Les risques de blessures permanentes, de coma, de handicaps ou de paralysie sont tout simplement innombrables.
Pour les tentatives où les suicidaires visent la tête, on pensera bien entendu au risque plus que probable d’être défiguré. Dans le cadre d’une étude mené auprès de 19 personnes (dont 18 hommes) défigurées suite à une tentative de suicide, les auteurs ont souligné l’importante de la reconstruction du visage comme avenue nécessaire à la reconstruction de l’identité, processus qui peut prendre des années et des chirurgies à répétition.[3].
Presque toutes les tentatives de suicide amènent des complications diverses, y compris, souvent, des passages à l’hôpital. Selon le diagnostic posé à l’hôpital, un séjour plus ou moins long en psychiatrie peut alors survenir, avec soutien plus ou moins bénéfique ou médiocre. On entend des histoires de suicidaires qui sortent de l’hôpital plus désemparés qu’à leur arrivée. Souvent, la tentative de suicide se révèle une méthode peu efficace pour obtenir de l’aide professionnelle de qualité.
Si la tentative de suicide veut servir de message, celui-ci arrivera dans un contexte chaotique, il sera interprété dans une atmosphère de panique chez les proches, sans parler du risque d’être vu comme un acte de folie insensé, passagère ou non.
Se préparer à tirer sur soi-même… et survivre
Des auteurs ont avancé l’hypothèse que des suicidaires défigurés par une arme à feu voulaient peut-être effacer leur identité et se détruisant le visage[4][5].
Patrice a […] utilisé son fusil de chasse chargé de munitions pour gros gibier afin de s’exploser le visage. Il est ainsi passé devant sa famille avec son arme puis s’est tiré une balle dans la bouche au magasin avant de retourner chez lui pour s’écrouler devant sa femme et ses trois enfants qui l’ont donc « vu comme ça ».
Récit d’un homme défiguré par une tentative[6]
Comment se suicider par arme à feu avec 100% de chances de mourir? Comment le faire sans souffrir – et sans faire souffrir? Force est de constater qu’il y a toujours des risques de souffrance, de survie, de séquelles, avec la méthode des armes à feu comme avec les autres.
J’ai vu des personnes dans le coma intubées de partout à l’hôpital. J’été témoin des effets d’un manque d’air prolongé au cerveau. J’ai vu les effets dévastateurs sur les reins ou d’autres organes internes[…] J’ai même entendu des personnes regretter terriblement leur geste, mais mourir plus tard à la suite de complications médicales liées à leur tentative.(Marc-André Dufour, Se donner le droit d’être malheureux )
Toutes méthodes confondues, pour chaque tentative de suicide menant à la mort, on compte en général de 25 à 30 tentatives et 5 hospitalisations pour blessures auto-infligées[7].
Préparer une tentative de suicide devrait donc impliquer la préparation de la survie. Que se passera-t-il après? Il est fort probable, presque certain, que l’envie de vivre reviendra aussitôt (voire pendant) la tentative.
Plus de 90% de ceux qui font une tentative ne se suicident finalement pas; la souffrance finit par passer. Peut-on penser alors à survivre… sans passer par cette tentative?
«Je n’ai pas « raté » mon suicide. J’ai réussi à survivre, puis à revivre. »
Normand , rescapé

Suicides et accès aux armes à feu
Aux États-Unis, où la possession d’armes à feu est endémique, un suicide sur deux se produit avec de telles armes, soit 40 000 suicides par années, ce qui correspond aux deux tiers des morts par armes à feu[9]. On y parle d’une «épidémie silencieuse». Au Canada, les suicides représentaient 79% des morts par arme à feu en 2020[10].
L’accessibilité d’une arme dans la maison augmente considérablement le risque de suicide. En Israël, après avoir interdit aux jeunes soldats de ramener leurs armes à la maison, le taux de suicide global dans cette population a chuté de 40%[11].
«La simple présence d’un fusil dans une résidence multiplierait par cinq le risque qu’un des habitants des lieux commette l’irréparable»
Jérôme Gaudreault, AQPS[12]
Mourir de suicide par arme à feu
Cette méthode peut amener à mourir instantanément. On pensera aux têtes qui explosent littéralement, à des corps aussitôt inertes qui tombent comme des marionnettes dont on a coupé les fils, comme dans les films, donc aux vies ainsi désintégrées d’un seul coup.
Exceptions étranges, il existe le cas d’un homme mort après s’être tiré 14 balles et un autre qui s’est pendu après avoir tiré en vain une balle sa tête[13].
On pensera à une mort instantanée, sans douleur. On notera cependant le risque d’une agonie longue et douloureuse. Certains meurent au bout de leur sang après avoir souffert le martyre pendant des heures. On imagine combien il est improbable que l’agonisant puisse se tirer une nouvelle balle pour mettre fin à son supplice…
Combien meurent ainsi au terme d’une interminable agonie? 25% ? 60% ? Nous n’avons pas été en mesure de trouver de statistiques concernant cette réalité. Cependant, si près de 20% des tentatives sont non létales, on peut supposer que les agonies doivent être longues dans un taux très élevé de cas.
Le suicide par balles ou cartouches correspond sans doute à la méthode laissant les cadavres les plus affreux. Des corps sans tête, des lambeaux de chairs, de morceaux organiques ensanglantés partout, de la puanteur. Des images assurément horribles. La réalité se révèle loin des suicidés du cinéma ayant une simple rondelle de ketchup sur le front.
Selon la loi, tout suicide entre dans la catégorie des «morts violentes». Il y a alors dossier et enquête de police, approfondie ou succincte. Un coroner doit aussi obligatoirement enquêter sur chaque suicide puis produire un rapport, qui sera public. Des prélèvements sur le corps sont faits, parfois une autopsie, des proches sont interrogés, ainsi que des professionnels comme le médecin traitant, le psychologue, etc.
«Le lendemain de sa mort, juste après avoir parlé au coroner, j’ai reçu un appel de l’Institut Douglas, qui fait des recherches très réputées sur le suicide. Ils voulaient en savoir davantage sur le suicide de ma soeur. J’ai répondu à un grand questionnaire, puis je les ai autorisés à faire un prélèvement de son cerveau. Je crois qu’ils ont carrément enlevé son cerveau pour en faire des lamelles. J’aurais autorisé n’importe quoi pour aider à la recherche sur le suicide afin qu’on puisse comprendre l’incompréhensible et prévenir peut-être des suicides futurs. C’est trop atroce pour ceux qui restent, pour ceux qui aimaient et aiment encore.»
Alice, soeur d’une suicidée
Conséquences sur les survivants
Quelles sont les effets d’un suicide par arme à feu sur les survivants?
«Je suis rentré dans la pièce et j’ai d’abord vu mon fusil, par terre. À gauche, il y avait quelque chose que je n’ai pas pu regarder directement. Un corps, mais pas vraiment de tête, ou juste un morceau de tête, je ne sais pas. C’était mon fils. Je ne l’ai pas vraiment regardé et pourtant, je le vois tout le temps depuis six mois maintenant.»
Père d’un suicidé
Tout le monde m’avait déçue. Je leur en voulait tellement, à tous!
Et je dois avouer qu’il y avait une part de vengeance dans mon désir de suicide: «vous allez payer». Je voulais qu’ils souffrent comme moi je souffrais.
Andrée
Selon les méthodes de suicide, ce sont les proches qui retrouvent le cadavre en moyenne une fois sur deux. Le traumatisme de ces personnes n’est pas difficile à imaginer. Notons qu’entre 7 et 10 personnes sont affectées profondément pour chaque suicide.[14]. Certaines de ces personnes ne s’en remettent jamais, une portion se suicident à leur tour, beaucoup auront terriblement honte, toutes se sentiront coupables. Personne ne comprendra.
L’arrêt de la souffrance mentale est couramment cité comme la principale motivation du suicide, mais la triste réalité est que le suicide n’arrête pas la douleur mentale: le suicide ne fait que transférer la souffrance à ceux qui restent.
Kees Van Heeringen[15]
«Comment se suicider par arme à feu pour ne plus rien ressentir»
Sophie, rescapée d’idées suicidaires
Selon la «théorie de la fuite», les gens n’auraient pas envie de se suicider s’ils pouvaient:
- être quelqu’un d’autre
- être ailleurs, ou
- ne plus être tourmentés

«Quand je pense au suicide, je souhaite devenir n’importe qui, n’importe quoi sauf moi-même. »
Jesse Bering [16]
Alternatives
Un bouton à activer: une simple gâchette. Puis ce serait la fin, sans transition. On pense aisément à l’arme à feu comme méthode situé à un déclic de la fin de toute souffrance. Mais elle peut être plutôt le début d’une toute souffrance physique et d’une vie handicapée, végétative ou non.
Existe-t-il un moyen plus sûr et sans douleur?
«Si j’étais née avec un bouton d’autodestruction […], je pense que je n’existerais plus depuis longtemps. […] Mais j’ai l’impression que je ne suis pas la seule, et je suis même sûre que si tous les humains disposaient d’un tel bouton d’autodestruction sur lequel appuyer, il n’y aurait plus grand monde ici-bas»
Témoignage cité par Cristophe André[17]
Puisque le bouton d’autodestruction instantané n’existe pas, peut-on soulager le mal autrement? Si on avait les deux options suivantes:
- Mourir sans souffrir
- Vivre sans souffrir
Quelle serait l’option à privilégier?
Se suicider sans souffrir ou vivre sans douleur?


Préparer la crise suicidaire plutôt que préparer le suicide
Qu’est-ce que la crise suicidaire? Pourquoi faudrait-il se «préparer» à l’affronter.
J’ai peur de ce qui se passe en moi. Il y a un malaise incroyable. Je sens comme une boule infiniment lourde dans mon ventre. Parfois, mon envie de disparaître semble plus forte que moi, et j’ai peur de me suicider un jour malgré moi.
Daniel
La crise suicidaire a été documentée chez les morts par suicide, tout comme chez ceux qui ont survécu. Elle attaque principalement ceux qui ruminent des idées suicidaires. On pourrait la définir comme une violente tempête mentale qui survient sans prévenir, parfois juste après un événement pénible. Pendant cette crise, on a perdu toute liberté. C’est le moment où l’idée suicidaire prend toute la place et mène à la mort en l’espace de quelques heures, parfois même en quelques minutes.
Cette crise est donc extrêmement dangereuse. Il est cependant possible se protéger contre elle.
À lire:
Comment se protéger contre la crise suicidaire?
Notes
↑1 | Spicer, R.S. and Miller, T.R. «Suicide acts in 8 states: incidence and case fatality rates by demographics and method». American Journal of Public Health. 2000:90(12);1885, cité par Harvard College |
---|---|
↑2 | https://www.statista.com/statistics/258916/number-of-firearm-suicide-deaths-in-the-united-states-by-gender/ |
↑3 | https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448705002477 |
↑4 | https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448705002477 |
↑5 | https://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2015-2-page-140.htm |
↑6 | https://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2015-2-page-140.htm |
↑7 | Agence de la santé publique du Canada, Nous soulignons |
↑8 | Stuart Hample, Doutes & Certitudes- Woody Allen en comics, Fedjaine, 2010 |
↑9 | New York Times et Suicide Prevention Resource Center, chiffres de 2020 |
↑10 | https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1742117/armes-a-feu-suicide-ontario-canada |
↑11 | https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21034205 |
↑12 | https://www.lesoleil.com/actualite/justice-et-faits-divers/suicide-controler-les-armes-a-feu-pour-sauver-des-vies-753766c09e8d848ab538dd2fd702a9de |
↑13 | https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/07/03/des-suicides-par-arme-a-feu-extremement-troublants/ |
↑14 | Agence de la santé publique du Canada |
↑15 | Kees Van Heeringen, The Neuroscience os Suicidal Behavior, Cambridge Fundamentals of Neuroscience in psychology, Cambridge University Press, 2018, p.1 |
↑16 | «When suicidal, I’d happily swap places with anyone, or anything, as long as it isn’t me.». Bering, Jesse. Suicidal (p. 62). University of Chicago Press. (traduction libre). |
↑17 | Christophe André, Les états d’âme, p. 201 |
2 réponses sur « Se suicider par arme à feu: risques et complications »
Un bouton d autodestruction, c est ça qu’il faudrait, après vous avoir lu, le fusil n’est pas le top. J’ai aussi pensé au train, ou aux camions qui roulent vite devant chez moi. Mon fils décédé à peine trente ans, ma fille il y a cinq jours le premier de l’an, suicide elle sera incinéré la semaine qui vient…. Comment tenir….
monsieur courage je suis certaine qu’il y a une lueur qui brille au bout du tunnel