Le suicide par saut dans le vide n’est pas une méthode assurée
Le suicide par chute consiste à sauter d’un pont, d’une falaise ou d’un viaduc. On parle aussi de suicide par précipitation. La mort survient alors par blessures mortelles diverses suivant l’impact, ou par noyade. La cause médicale de la mort la plus courante serait l’hémorragie cérébrale. On imagine une mort instantanée et sûre, mais la réalité s’avère souvent souffrante… et non mortelle.
Évidemment, la fatalité du saut dans le vide dépendra du lieu choisi, de la vitesse de chute et de la position du corps au moment de l’impact. Même les sauts du Golden Gate, où l’on frappe une eau glacée à 120 km/h, ne sont pas toujours fatals.
Les annales sont parsemées d’histoires extraordinaires de survivants à des chutes extraordinaires[1].
Selon diverses sources, le suicide par chute pourrait être fatal dans aussi peu que 35% des cas. Ce qui signifie que l’issue de 65% des autres tentatives se trouverait plutôt… à l’hôpital, avec blessures et handicaps permanents ou non.
Aucune méthode de suicide n’est assurée.
Complications possibles de sauts non fatals
Les blessures et séquelles suivant des tentatives de suicides par sauts sont innombrables: fractures, paralysie, coma, défiguration, amputation. On parle donc de risques d’hospitalisation de longue durée, voire permanente.
Outre les membres brisés, on trouve dans cette méthode de tentative de suicide une grande quantité de fractures de la colonne vertébrale, qui entraîneront souvent la paralysie.
Presque toutes les tentatives de suicide amènent des complications diverses, y compris, souvent, des passages à l’hôpital. Selon le diagnostic posé à l’hôpital, un séjour plus ou moins long en psychiatrie peut alors survenir, avec soutien plus ou moins bénéfique ou médiocre. On entend des histoires de suicidaires qui sortent de l’hôpital plus désemparés qu’à leur arrivée. Souvent, la tentative de suicide se révèle une méthode peu efficace pour obtenir de l’aide professionnelle de qualité.
Si la tentative de suicide veut servir de message, celui-ci arrivera dans un contexte chaotique, il sera interprété dans une atmosphère de panique chez les proches, sans parler du risque d’être vu comme un acte de folie insensé, passagère ou non.
Se préparer à sauter… et survivre
Comment se suicider en sautant dans le vide avec 100% de mourir? Comment le faire sans souffrir – et sans faire souffrir? Sachant que de nombreuses chutes se soldent par des blessures plutôt que la mort, force est de constater qu’il y a toujours des risques de souffrance, de survie, de séquelles, avec la méthode du saut comme avec les autres.
Si on trouve des statistiques sur la létalité des suicides par chute, plus ou moins élevés selon les sources, aucune statistique ne semble compilée sur le taux de handicaps permanents qui en découlent.
Toutes méthodes confondues, pour chaque tentative de suicide menant à la mort, on compte en général de 25 à 30 tentatives et 5 hospitalisations pour blessures auto-infligées[2].
Préparer une tentative de suicide devrait donc impliquer la préparation de la survie. Que se passera-t-il après? Il est fort probable, presque certain, que l’envie de vivre reviendra aussitôt (voire pendant) la tentative.
Plus de 90% de ceux qui font une tentative ne se suicident finalement pas; la souffrance finit par passer. Peut-on penser alors à survivre… sans passer par cette tentative?
«Je n’ai pas « raté » mon suicide. J’ai réussi à survivre, puis à revivre. »
Normand , rescapé

«Sur les six entretiens qu’il a pu effectuer, quatre patients ont déclaré qu’ils n’auraient utilisé aucune autre méthode ou n’auraient sauté d’aucun autre pont si le Golden Gate n’avait pas été accessible.»
Étude sur les tentatives de suicide par sauts[4]
Vouloir se suicider en sautant, puis mourir… lentement ou non
Sachant qu’une proportion surprenante de chutes ne s’avèrent pas fatales, on peut déduire qu’une part importante des morts ne sont pas instantanées. Une source mentionne une agonie moyenne de 4.56 minutes[5]. Si une part importante des morts arrivent instantanément, cette moyenne laisse penser que d’autres agonies s’avèrent particulièrement longues.
Les corps brisés devront traverser une agonie plus ou moins lente et atroce, tandis que les chutes dans l’eau pourront se transformer en une noyade étonnamment longue à survenir, sachant les réflexes de survie du corps humain.
Ces suicidés seront souvent méconnaissables. On parlera de corps boursouflés et plus ou moins décomposés pour les suicidés des ponts, et de cadavres désarticulés, démembrés ou défigurés pour ceux qui s’écrasent sur la terre ferme.

Selon la loi, tout suicide entre dans la catégorie des «morts violentes». Il y a alors dossier et enquête de police, approfondie ou succincte. Un coroner doit aussi obligatoirement enquêter sur chaque suicide puis produire un rapport, qui sera public. Des prélèvements sur le corps sont faits, parfois une autopsie, des proches sont interrogés, ainsi que des professionnels comme le médecin traitant, le psychologue, etc.
«Le lendemain de sa mort, juste après avoir parlé au coroner, j’ai reçu un appel de l’Institut Douglas, qui fait des recherches très réputées sur le suicide. Ils voulaient en savoir davantage sur le suicide de ma soeur. J’ai répondu à un grand questionnaire, puis je les ai autorisés à faire un prélèvement de son cerveau. Je crois qu’ils ont carrément enlevé son cerveau pour en faire des lamelles. J’aurais autorisé n’importe quoi pour aider à la recherche sur le suicide afin qu’on puisse comprendre l’incompréhensible et prévenir peut-être des suicides futurs. C’est trop atroce pour ceux qui restent, pour ceux qui aimaient et aiment encore.»
Alice, soeur d’une suicidée
Conséquences sur les survivants
Selon les méthodes de suicide, ce sont les proches qui retrouvent le cadavre en moyenne une fois sur deux. Le traumatisme de ces personnes n’est pas difficile à imaginer. Notons qu’entre 7 et 10 personnes sont affectées profondément pour chaque suicide.[6]. Certaines de ces personnes ne s’en remettent jamais, une portion se suicident à leur tour, beaucoup auront terriblement honte, toutes se sentiront coupables. Personne ne comprendra.
L’arrêt de la souffrance mentale est couramment cité comme la principale motivation du suicide, mais la triste réalité est que le suicide n’arrête pas la douleur mentale: le suicide ne fait que transférer la souffrance à ceux qui restent.
Kees Van Heeringen[7]
On comprendra que le suicide par chute, se produisant généralement loin du domicile, échappe à la statistique sur les proches qui découvrent le cadavre. Par contre, la violence du suicide aura sur les survivants des effets dévastateurs.
«Sauter pour ne plus rien ressentir»
Selon la «théorie de la fuite», les gens n’auraient pas envie de se suicider s’ils pouvaient:
- être quelqu’un d’autre
- être ailleurs, ou
- ne plus être tourmentés

«Personne ne désire vivre autant que le suicidaire, mais pas dans ces conditions; personne n’estime davantage la vie, mais pas cette vie. Quand je pense au suicide, je souhaite devenir n’importe qui, n’importe quoi sauf moi-même. »
Jesse Bering [8]
Quelle meilleure illustration de ce désir que le saut? Que ce désir de bondir hors du monde, dans le néant?
«Je savais exactement où j’allais sauter.
Dans ma tête, je l’avais fait dix fois, vingt fois. Ce soir-là, j’ai décidé de passer à l’action. De sauter pour vrai, de mourir.
Je suis sortie de chez moi, puis j’ai glissé dans les dernières marches de mon escalier et je me suis fait très mal au coude. C’est idiot, mais la douleur m’a en quelque sorte découragée et j’avais juste envie de retourner dans mon salon.
Depuis ce jour, je n’ai plus imaginé que je me suicidais. Je n’y comprends absolument rien, mais j’aimerais juste remercier mon escalier!»
Lise, qui a eu trois enfants et une longue carrière depuis l’événement
Alternatives
Se préparer à sauter? Chercher une alternative?
Imaginons un moyen plus sûr, sans douleur. Par exemple la pilule parfaite pour se suicider. «Prendriez-vous la pilule bleue ou la pilule rouge?». Se suicider sans souffrir ou vivre sans douleur? On admet généralement que le suicidaire ne désire pas tant mourir que cesser de souffrir.
Préparer la crise suicidaire plutôt que préparer le suicide
Le fondateur de la suicidologie a prononcé une boutade qui n’est pas dépourvue de vérité.
«Ne vous supprimez pas quand vous êtes suicidaires.»
Edwin Shneidman
En d’autres termes, même si on regarde le suicide comme un droit de disposer de soi-même, même si le désir d’en finir semble légitime, voire rationnel, il a été démontré que le cerveau est en quelque sorte handicapé lors de la crise suicidaire aiguë. C’est donc un moment où le sujet en crise ferait mieux de… ne prendre aucune décision. Il ne peut voir d’autres options, il a une vision en «tunnel» et fonctionne de façon anormale.
À lire:
Comment se protéger contre la crise suicidaire?
Notes
↑1 | http://www.lessentiel.lu/fr/news/monde/story/il-se-jette-du-39eme-etage-et-survit-17341750, https://www.ladepeche.fr/article/2016/08/30/2408720-il-survit-miraculeusement-apres-s-etre-jete-du-7e-etage.html, https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-laveur-de-carreaux-survit-a-une-chute-de-47-etages-05-01-2008-3292524529.php |
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↑2 | Agence de la santé publique du Canada, Nous soulignons |
↑3 | Stuart Hample, Doutes & Certitudes- Woody Allen en comics, Fedjaine, 2010 |
↑4 | Pierre Delvot, Revue de littérature et étude sur le suicide par précipitation de pont |
↑5 | Nous conservons confidentielles certaines sources pour raisons d’éthique |
↑6 | Agence de la santé publique du Canada |
↑7 | Kees Van Heeringen, The Neuroscience os Suicidal Behavior, Cambridge Fundamentals of Neuroscience in psychology, Cambridge University Press, 2018, p.1 |
↑8 | «nobody wants to live more than the suicidal person, just not under these circumstances; no one has a greater appreciation for life, just not this life. When suicidal, I’d happily swap places with anyone, or anything, as long as it isn’t me.». Bering, Jesse. Suicidal (p. 62). University of Chicago Press. (traduction libre). |